samedi 26 décembre 2015

De quoi faut-il se réjouir? #1

"pas ici tout de même" - Jérôme Delay

Je termine l'année dans une forme relative.
J'ai trouvé l'année 2015 difficile. La mienne, celle des autres, la nôtre, celle que l'on mène en France, celle que l'on voit dans le monde.
Par instants, qui sont malheureusement plus en plus nombreux, je perds foi en l'Humanité.
Et je ne sais plus quoi penser.
Ce qui est pire. Pour moi tout du moins.

De quoi dois-je me réjouir?
De quoi puis-je me réjouir?

Pas de ce qui s'est passé dans notre quartier, pas ce que qui est passé près de la Belle Equipe, pas de ce qui a touché mes collègues, celui que j'adore et celui que j'aime le moins - comme un fait exprès. Ils se sont retrouvés liés dans cette histoire d'attentat. Et les deux m'ont touchée.
Il y a celui qui un vendredi soir buvait des coups à la Belle Equipe, c'est à deux pas du bureau, et le vendredi soir, c'est facilement un coin pour une bière "after work". Un peu après 20h30, il s'est rappelé qu'un autre de nos collègues s'était fait piquer, un soir de "pub crawl", son sac de boulot avec son Mac (oui, j'ai aussi de iCollègues, après mon iMari) . Comme il était déjà au peu entamé par quelques bières, il s'est dit dans un moment de lucidité que ce serait une bonne idée de remonter au bureau poser son sac vue la suite de la soirée qui s'annonçait.
Eclair de Génie.
Eclair de Clairvoyance.
Eclair de je-ne-sais-quoi.
Toujours est-il qu'il est revenu au 5 rue Jules Vallès, au 2ème étage avec sa compagne et le pote qui l'accompagnait.
Quand il est redescendu, il a enjambé des gens allongés dans la rue. Morts.
Il a contourné des flaques de sang. En France, dans notre quartier.
Il a été dirigé par des flics et des militaires en dehors de la zone. Entouré de gens tétanisés. En silence.
Il a hélé des taxis qui ne s'arrêtaient pas, parce qu'ils avaient pour consigne de ne pas prendre aucun client à bord.
Il a marché comme des milliers d'autres pendant des heures, sans oser prendre le métro, pour regagner son domicile. En silence. Sans comprendre.
Il s'est dit que ce n'était pas son Heure.
Et il y a mon autre collègue. Le Jeune.
Celui dont le père a le même boulot que ma soeur.
Celui qui  ressemble tant à mes fils.
Celui qui est né quand je rencontrais mon premier amant.
Celui qui me propose une cigarette quand il veut me parler.
Celui qui me prend dans ses bras sans que je ne dise rien.
Celui qui  avec qui je suis liée par des fils invisibles.
Celui qui était ce soir là au Carillon et qui en a eu marre et a changé de bar un peu avant 21h.
Comme l'autre. Ce n'était pas son jour.
Comme l'autre, il a passé une nuit d'enfer.
Jusqu'à une heure avancée de la nuit, retranché dans un bar de la rue Oberkampf. Dans un bar qui avait baissé son rideau avec ses clients à l'intérieur, jusqu'à ce que la Police leur donne l'autorisation de rouvrir et demande aux gens de rentrer chez eux. Mais le quartier est bouclé. Ces jeunes rentrent à pied, à 2 heures du matin à travers Paris. Du 11ème au 14ème, sous une avalanche de SMS qui demandent si "tout va bien".
Rien ne peut aller bien. Et pourtant nous sommes là.
Nous sommes là le lundi.
Et les jours suivants.
Nous sommes là quand il faut aller faire une minute de silence à la Belle Equipe.
Je suis là quand il faut lui tenir la main. Quand il retient ses larmes.
Je suis là. Mais je n'en mène pas large.
Je dormais ce soir là. Epuisée, ces derniers temps, je sors moins. Je me tiens peu au courant.
Je n'ai appris tout cela que le lendemain.
Mes premières pensées ont été pour le Jeune. Et quand j'ai allumé mon téléphone, le message rassurant était là.
Merci.







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